Escapade

Publié le par BOO

On est samedi 22 mai 2010. Il est 14h43. Je m’ennuie.

 

Je m’ennuie d’un ennui sans début ni fin. Il a commencé à la fin des écrits. Il se poursuit encore. Je ne sais pas quoi faire. Ni quoi dire. Je ne sais pas quoi lire, ni quoi travailler. La motivation ? Disparue. J’ai déjà lu tous mes bouquins, je n’aime pas trop relire. Et soudain.

 

Je me vois compter mes sous, pour finalement tous les enfiler dans mon portefeuille, prendre mes clefs qui pendent au mur et m’enfuir comme une voleuse. Je ne ferme pas la porte de ma chambre. Je laisse toutes mes affaires en plan. Je descends silencieusement les escaliers et hâte le pas quand j’entends quelqu’un. Je ferme la porte en silence, traverse la cours en surveillant les fenêtres, passe le portail sans bruit et me cache des regards derrière le mur. Là, je me sens libre. Je marche jusqu’à Ex libro, le cœur léger. Je scrute les immeubles, regarde les façades. Sur l’une d’elle, des restants de pub peintes. Le siège social se trouve à Paris. Depuis 1901. En face, la Cantine rouge. Depuis le temps que je passe devant, je n’ai jamais vu personne dedans. Dommage, elle m’inspire bien cette Cantine. Je traverse la rue d’un pas lent, mes yeux se promènent sur le paysage. Strasbourg est belle, inondée par le soleil. Les gens me croisent, anonymes. Une fille avec un pantalon jegging, des low boots ouvertes et un haut sophistiqué me dépasse. Ses cheveux sont blonds méchés, ses yeux cachés par des lunettes mouche et ses lèvres font une moue boudeuse. Elle a un piercing au dessus de la bouche. Elle me toise deux secondes avant de presser le pas. Vu la différence de style, je ne crois pas que quiconque aurait pu croire qu’on se connaisse. L’une perchée sur ses talons, les ongles laqués et l’air indifférent (voir franchement emmerdée), et l’autre le nez en l’air, dos nu –jean-converses, les yeux écarquillés, plongés dans l’Ill.

 

Je traverse la rue des frères pour entrer chez Ex libro. J’y passe un bon quart d’heure à chercher, fureter, et lire chaque titre de chaque livre. L’un est un coup de cœur, l’autre m’intrigue, le troisième est d’un auteur que j’apprécie, et m’accroche. Au moment de passer en caisse, je demande à la dame si elle connaît l’auteur de Sa Majesté des Mouches, pour un achat futur. Oui oui, qu’elle me répond en partant farfouiller dans les rayons « C’est de William Golding, je l’ai vu ». Elle cherche dans les folios, les livres pour enfants, et même dans sa réserve. J’ouvre la bouche pour la remercier quand je la vois sortir un petit bouquin rose avec un visage enfantin en couverture. «C’est une édition spéciale, ce n’est pas grave ? » Ben tiens ! J’hésitais à acheter mes trois livres voilà que je me retrouve avec quatre. Mais un long week-end m’attends, et je suis du genre gourmande avec ma lecture. Je les prends tous. Je ressors souriante, plongeant immédiatement dans ma trouvaille. Je crois que plusieurs personnes m’ont évitée. Et comme je me rends compte que je traverse la place saint Etienne, je décide d’aller sur les quais. Qu’à cela ne tienne, je descends m’asseoir sur le bord du quai, le long de l’Ill, et commence à dévorer le Golding. Je refuse poliment l’invitation d’un trentenaire baba. Ses amis arrivent. Je les écoute d’un oreille distraite. Je regarde passer d’un œil les Batobus, sans que l’eau ne monte assez haut pour venir me lécher les pieds. Le premier revient, me propose un concert, mais bon, l’électro, moi j’écoute ça qu’un seul petit quart d’heure, sinon, il y a plus besoin de me faire boire pour que j’ai la gueule de bois. Je m’allonge sur le dos, puis sur le ventre, remonte mon tee-shirt. Je me délecte du soleil sur ma peau, du clapotis des remous sur les pierres du quai.

 

L’un des trentenaires, sûrement THCisé aperçoit des canetons (personnellement, je ne sais pas trop où il a pu les halluciner, mais bon…) hurle un coup et plonge. Bon… Son pote lui tend un bras secourable pour le sortir de la flotte. Deux minutes plus tard, il se rapproche encore du bord en gueulant : « Ouais, j’vais y replonger ! » Comme dans un film comique, son pote arrive  et le pousse à la flotte. Ca m’a fait bien rire. Beaucoup de nanas on été arrêtées par le trio, pour la drague ou proposer de la musique. Un monsieur lisait également, deux mètres derrière moi. Un jeune qui dormait à ma droite a reparut mangeant un kebab, puis encore une fois avec une pomme.

En passant la main sur mon épaule, je sens une chaleur. Aïe, mon corps me rappelle à l’ordre. J’ai tendance à bronzer  type crevette dans un autocuiseur. Je remets chaussettes et converses à regrets, bois une petite brique de jus d’orange retrouvée par hasard à côté d’une barre de chocolat plus liquide qu’elle ne devrait, et me lève. J’attire les compliments du trio et m’enfuit vite vite.

 

Je remonte le boulevard sourire aux lèvres et me fraye un chemin jusqu’à l’internat. Mon escapade prend fin. Personne ne savait où j’étais, personne ne m’a vue partir. Comme une voleuse. Je confie le secret à Christina, étonnée vis-à-vis de mon binz encore chaud.

Mais je suis ravie. Une escapade sur un coup de tête. Je repense à ces quelques minutes où je fuyais l’internat. Trois minutes avant, je tournais en rond dans ma chambre, cherchant quoi lire, quoi manger, quoi jouer. Deux minutes avant, l’idée de lire au soleil m’effleurait. Furtive, puis tenace. Spontanéité, inédit, oxygène, fantasme, vitamine D, lecture, air pur. Les quais. L’été. Rien que moi toute seule. En tête à tête avec William Golding et ses naufragés, quelques part sur les quais de l’Ill.

 

 

Bonheur

Publié dans Petit bout de femme

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